La maîtrise de l’eau est un élément indispensable pour s’adapter au changement climatique. ‘’Il nous faut forcément trouver des solutions d’adaptation qui passent par la maîtrise de l’eau pour faire de l’agriculture irriguée tout au long de l’année ’’(Assane Dione)
Il y a trente-cinq ans, un ingénieur agronome, Jacques DUBOIS, spécialisé en pédologie et hydrogéologie tropicale, ayant effectué toute sa carrière dans l’hydraulique agricole au Sénégal, prenait sa retraite. Devenu veuf, doté d’une parfaite connaissance du terrain et des hommes, d’un cœur d’or, d’un solide caractère et d’une persévérance inébranlable, il eut une idée de génie concernant le développement d’une zone rurale au sud de Bakel, en plein Sahel, non loin du point triple Sénégal, Mauritanie et Mali.
Le climat de cette zone se traduit par deux mois d’une intense saison des pluies en Août et Septembre, où les marigots (oueds) ont des crues violentes et dévastatrices, suivie de dix mois d’absolue sécheresse. Pendant cette sécheresse les villages manquent d’eau, et les nappes phréatiques s’épuisent, obligeant à chercher de plus en plus profond l’eau qui manque aux jardins, au bétail, et aux usages domestiques. Cette pénurie d’eau était un puissant facteur d’émigration rurale.
L’idée de notre agronome était simple : créer dans le lit des marigots des petites retenues de faible hauteur, stockant l’eau en période de crue pour la rendre disponible durant la sécheresse suivante. Chaque retenue devait être construite en matériaux locaux, tout en étant très simple et très économique à réaliser par les habitants du village voisin. Ceux-ci étaient rendus responsables de son entretien et de la réparation des brèches survenant lors des crues exceptionnelles, de telle façon que chaque retenue puisse être considérée par chaque village comme son bien propre. La décision de construire, et les modalités de construction, ne se faisait que par accord unanime des villageois, en acceptant le temps nécessaire aux palabres, leur lenteur, et parfois quelques erreurs, le but étant de proposer des solutions, sans jamais les imposer.
La première idée, et la première réalisation, près du village de Gouniang, fut de créer une retenue à l’aval immédiat d’une plaine alluviale, elle-même quadrillée par un réseau de diguettes de faible hauteur suivant les lignes de niveau, pour rechercher systématiquement la submersion de ces plaines à chaque crue, et y retenir le plus longtemps possible l’eau, de façon à y favoriser le développement de la végétation de surface, tout en regarnissant la nappe phréatique locale. Obliger l’eau à se répandre dans une plaine alluviale était également un moyen de réduire le débit de pointe du marigot en aval, et donc la force destructrice des crues. Et, dès 1981, du riz put ainsi être cultivé.
Cette réalisation obtenue à la force du poignet par notre agronome, malgré les obstacles de toute nature que l’on imagine, fut un succès. Peu à peu, bouche à oreille aidant, il fut de plus en plus sollicité. Comme le profil idéal de plaine alluviale à inonder n’était pas fréquent, il se borna à construire au fil des années une trentaine de retenues, permettant au moins au village le plus proche de disposer d’eau durant la saison sèche pour l’alimentation du bétail, l’irrigation, la pêche et les besoins domestiques.
Il est temps de donner quelques détails sur la mise en œuvre pratique de ces réalisations. Tout d’abord notre agronome créa en France une structure juridique disposant d’une antenne à Bakel : une petite ONG, le GRED (Groupe de Recherches et de Réalisations pour l’Eco-Développement). Il fallait un expert pour faire les projets des ouvrages, adaptés aux conditions locales et aux matériaux locaux. Ce fut un ingénieur retraité bénévole, Jean ABERLEN (Centrale 1938) de grande expérience en matière de réalisation d’ouvrages hydrauliques, qui termina sa carrière comme professeur dans les plus grandes écoles de travaux publics, et qui conçut en Côte d’Ivoire le « géobéton », mélange de terre et de ciment, utilisé soit pour faire le noyau d’étanchéité d’un barrage en terre, soit constituer la digue elle-même. Bien entendu, les enrochements sont aussi utilisés, quand ils sont disponibles sur place.
La hauteur des digues est sciemment limitée, pour éviter un désastre en cas de rupture de la digue : la plupart sont entre 3 et 7 mètres de haut ; une seule monte à 9 mètres. Le plus grand soin est apporté à l’évacuateur de crues. La capacité de la retenue pour l’alimentation en période sèche varie selon le terrain : sur 30 retenues, 10 assurent une présence permanente d’eau pendant toute la saison sèche ; les autres une présence d’eau variant de deux à sept mois.
Il fallait des fonds, car même à l’économie, il n’était pas facile de travailler à plus de 600 kilomètres de Dakar, de louer un minimum d’engins, et d’assurer le coût de la structure locale, y compris celui d’une équipe permanente locale du GRED dirigée par Assane DIONE, un jeune ingénieur sénégalais très motivé, formé par notre agronome et appuyé financièrement par ce dernier pour des études en agronomie en France, pour prendre sa suite. Ces fonds provinrent de diverses sources : l’apport des villageois, provenant essentiellement des fonds envoyés par leurs travailleurs émigrés, des cotisations des membres du GRED, de quelques subventions (conseils généraux d’Ile de France et d’Isère), et en ce qui concerne les ouvrages nouveaux, du financement assuré par le CODEV franco-sénégalais.
Une difficulté d’exécution est le créneau de temps relativement réduit laissé par la nature aux ouvriers : il faut que la terre soit suffisamment sèche, mais pas trop pour pouvoir être travaillée : ce qui ne laisse guère plus d’un trimestre utile, de Décembre à Février.
Le problème principal du GRED a été de financer le coût des réparations des ouvrages. Le changement climatique actuel se traduit en effet dans la région, par des pluies torrentielles d’un niveau jamais observé par les anciens, et donc de fortes crues qui endommagent un à trois barrages chaque année, causant des brèches ou érosions régressives parfois facilement réparables, parfois plus profondes. Or ses partenaires prennent en charge généralement les constructions nouvelles, pas leur entretien, qui ne peut s’effectuer que pendant les mois d’hiver, comme dit ci-dessus. Il faut donc trouver d’autres ressources
Un ouvrage majeur, le barrage de Goundiourou, dont la crue majeure de 2009 ouvrit une brèche dans la digue, a pu ainsi voir le financement de sa réparation assurée par le don de 3.000€ envoyé par l’ONG AIMVER. Il put alors revenir en service actif : sa réserve d’eau assure de façon pérenne les besoins en eau de la saison sèche (cultures maraîchères, abreuvement des animaux, travaux domestiques…).
Un détail : informé de la brèche de Goundiourou, Jacques DUBOIS, initiateur du projet se rendit aussitôt sur place malgré ses 89 ans révolus, pour inspecter les travaux, constater les dommages et établir le mode de réparation et de consolidation. Quant à Jean ABERLEN, âgé alors de 95 ans, il ne put donner des conseils que de loin. Il devait décéder quelques mois plus tard.
Fin 2011 Jacques DUBOIS fut à son tour atteint des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer qui l’emporta le 31 Mai 2014.
La suite du GRED fut assurée par sa fusion avec le GRDR (Groupe de Recherches et Réalisations pour le Développement Rural), le 1er Janvier 2012.
La plus grande satisfaction de Jacques DUBOIS fut d’entendre un paysan lui dire :
« Plus besoin de partir en France pour gagner de l’argent ! »
(G.N., 28/06/2015)